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  Georges Trouvé

Extraits du "Grand voyage d'un mouton blanc"

 

Perros-Guirec, avant-guerre :

Le burin de mon père s’affolait à percer le granit rose afin d’illustrer d’appliques électriques les salles de séjour d’estivants déjà au rendez-vous de plage.

 

 

 

 

 

 

 

La permission :

Mon père doit venir, cette nuit, en permission. Voilà pourquoi cet hôtel près de la gare où elle guette la venue de l’homme-soldat. Je me suis endormi sans avoir revu mon père qui a dû m’embrasser, au matin, le cœur lourd, avec ses beaux rêves d’Afrique au fond de sa musette. Quand je marche, quand je marcherai vers une gare, seul, quelle que soit l’heure, je serai toujours avec toi, mon père, pour t’aider à porter ton dernier jour de jeunesse.

 

 

Retour de captivité :

C’est un beau matin. Maman est au marché. On sonne et la vieille dame sourde qui nous loge n’entendra pas. On sonne toujours. Je referme « Où le grain tombe » et je questionne :
-         Qui est là ?
-         Philippe … c’est moi. Ton père.
J’ai tiré le verrou, je le vois, je crie. Ce cri emplit des années. Aujourd’hui encore il résonne en moi :
-         PAPA …
L’autre cri que j’allais pousser je l’ai englouti dans cinq années de questions sans réponse, devant ses cheveux blancs, son visage amaigri et son triste regard. La voix un peu cassée –ce fut toujours la sienne- parle et il regarde tout notre univers, là, dans cette unique pièce.

Il a ouvert son sac. Mon père m’a rapporté d’Allemagne, du chocolat. Combien de temps serons-nous seuls, tous les deux, enfermés dans ce silence, jusqu’à ce que la clef tourne dans la serrure ? Je suis à mi-chemin d’eux lorsqu’ils se voient. La robe à fleurs, le costume gris vont l’un vers l’autre. …

 

 

Dans les Alpes :

Mon père vient me voir, chaque dimanche. Sa cure de repos est achevée. Il va mieux. On lui a confié un immense projet. Celui d’électrifier le téléphérique de l’aiguille du midi  […]

Le premier mai, le relais du téléphérique était achevé. Papa en fit l’essai, seul, dans la benne. Il avait créé un système de traction. On le fêtait. Les journaux citaient le nom de son patron, pas celui de Trouvé. J’étais triste.

 
Georges, Philippe et une petite amie

 

Retour de fugue :

J’arrivais chez moi après quarante-huit jours de route. Les volets étaient clos. Mon père est à l’hôpital, entièrement brûlé, à la suite d’un attentat contre l’usine. J’ai rentré la voiture dans son garage. Je l’ai lavée, briquée. Au soir ma mère et mon frère rentrent de la visite. Presque pas de mots. Peu de larmes. Nous serrons les dents.

J’ai achevé mon récit près de mon père. Il n’a pas de colère. Cela lui semble vain. Il a posé quelques questions, en se tordant de douleur. Apaisé pour un temps il demande :
-         Et maintenant, que vas-tu faire ?
-         Passer mon bac. Travailler en ne pensant qu’à cela.
Il m’a donné de l’argent pour aller au cinéma.
-         Viens me voir quand tu peux. Je suis là pour longtemps.

 

Les rosiers :

Ma bonne grand-mère Louise est allée retrouver le père Trouvé. La longue carcasse de mon père tremble dans le vent du cimetière. Ce jour là, il fermait à jamais son atelier :
-         Non, tu vois … un courant d’air m’a fait froid dans le cœur. Tiens prends cela : mon premier mètre d’apprenti, mon petit marteau et le tournevis. J’avais quatorze ans. Toute ma vie je les ai maniés. Je vais planter des rosiers, maintenant. Ma mère les aimait tant !