Avertissement Solennel
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Qu'il est heureux cet homme ayant beaucoup vécu marché sur plein de sentes autant que de principes et longuement senti sur sa tête un écu d'or au matin levant et au soir comme Œdipe une lourde question posée par une lunaire sphynx compteuse de jours dévoreuse croquante qu'il est heureux enfin après ce liminaire aride et rigoureux de se foutre le camp ! n'importe où ... et lâchant de ses mains l'objet qu'il y tenait à l'instant et voulant ignorer ce qui se passerait dans l'heure qui va venir pour arrêter sur lui un tel fléau de balance retournée |
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Celui-là dont je parle aurait une maison et des amis peut-être au moins ceux avec qui il boit Des ennemis je voulais dire ... ceux-là qui le gaspillent et lui font écran au soleil qu'il a perdu l'habitude de voir Un peu d'argent en poche des biens lourds à traîner des souvenirs confus et des doutes énormes des espoirs incroyables en une vie en un temps tellement imaginaire écrit un peu partout en ses livres qu'il ne prendra pas la peine d'emmener |
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Dehors ! et sors de ta maison homme de rêve ... Quitte ton lit tes savates et ne t'abîme pas un instant de plus dans l'incertitude de la seconde qui peut suivre ... elle n'est que répétition de la précédente ! La journée ... toutes les journées sont autant de chiens qui se mordent la queue et qui aboient bêtement tristes de ne pas l'avoir trouvée Les jours des vies entières qu'on n'a pas le cœur à remplir tant elles sont petites Il pleut dans la maison que j'ai construite hier et toutes les pierreries que je suis allé chercher au bout du monde ne sont que des cailloux tous ternes posés dans une assiette au milieu de la cuisine sale et devant laquelle baillent mes chats qui ont des larmes dans les yeux |
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Tous mes voyages une série de cartes postales délavées une lente succession kyrielle en caravane monotone rythmée du tambour las d'un percussionniste aveugle et pas rasé depuis vingt deux lunes le portefeuille en peau de chagrin qu'un ami de mon père m'offrit un jour de fête contient des photos de femmes qui se chevauchent honteusement et se ressemblent toutes à force de m'avoir souri Sors de ta maison avant qu'elle ne te tombe dessus ! Toutes les maisons du monde ont un jour envie de s'écrouler à force de supporter les hommes qui tournent en rond à l'intérieur et font un pas et font encore un pas perpétuellement de travers ainsi que la panthère noire du zoo de Dehiwala à Colombo longe la grille sans cesse d'un peu plus près la grille qui ne tombe jamais |
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Dehors et si je regarde à la fenêtre et juste en cet instant je vois descendant la ruelle assemblés l'un à l'autre sous un parapluie noir un homme avec une femme et l'homme cherche la clé dans sa poche et la pluie tombe et la pluie tombe sur eux sur le petit monde clos de leur instant sur la petite clé froide qu'il tient entre les doigts qui entre dans la serrure déclenchant le mécanisme rituel et tragique de la rentrée La rentrée ... toujours dans quelque chose ou dans quelqu'un |
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Mais sors ! Sors de ta boîte quitte ta voiture saute de l'avion ... Sais-tu qu'en cet instant des centaines de milliards de morts voudraient sortir de leur cercueil où on les a jetés un matin afin de paraître plus vivant qu'eux ? Ils aimeraient bien se répandre dans la nature et venir nous regarder manger notre soupe derrière les vitres en collant leur museau vague à la fenêtre et tambouriner de leurs doigts sur le verre pour nous dire "Mais sors ! Quitte ta chaise viens donc faire un tour avec nous" |
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Il y a justement un embouteillage au carrefour un cortège de mariés une voiture de police et une auto de pompiers avec un enterrement C'est bête les rencontres fortuites des gens entre eux C'est aussi stupide qu'un chat qui a faim contemplant un solitaire de douze carats au pied d'une poubelle Quand on écrit on devrait songer aux autres même s'ils ne payent pas vos cigarettes et vos petits verres C'est par un soir pluvieux d'Octobre revenant de voyage que j'écris ces lignes pour mon fils et c'est peut-être la première chose que je lui dis vraiment Le temps bourdonne un peu dans ma cervelle telle une mouche bleue en saison chaude qui aimerait bien trouver une fenêtre ouverte une charogne où pondre ses œufs mais c'est Octobre et il pleut il n'y a plus de mouche et surtout personne pour les peindre en bleu |
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La nuit ressemble étrangement au sac à charbon du Brésil et que Cendrars nous a conté et je pense à mes voyages aussi mes voyages à moi Oui je viens de revenir et j'ai encore dans les oreilles les moteurs des autobus d'Asie les trains de bois rouge dans les yeux qui traversent des jungles et des plages brunes sous un ciel mauve par temps de verte mousson et puis toujours des cartes postales ! |
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Mais sors donc ... J'ai l'impression de parler à un mur et sur ce mur une vie est accrochée en tableaux séparés par de petites taches de moisissure car il pleut dans ma maison il pleut et mes chats dorment tout chauds sur le tapis mouillé Je parle et je ne m'entends plus M'étendre en un hamac imaginaire devant une rangée de cocotiers peints en rêve sur un papier à tapisserie et quand je sentirai venir le sommeil je t'appellerai ainsi qu'une femme qu'il faut payer je crierai ton nom en langue bretonne dans la direction de la mer An Ankou ... madame la mort et alors très vite je sortirai.
Paris, |
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