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Le Muguet


 

 

  Un des derniers textes de Philippe,
écrit en 2005, dans le recueil
"Adieu la vie ! Tu m'écriras ?"
aux éditions Encres vives
 (décembre 2005 - coll. Encres Blanches)

Garçon  

 
Avant qu'on ne le sente, les voix le crient dès l'aube dans cette rue montante à l'assaut de la Butte. Je me souviens, ma chambre donnait sur le carrefour et la bouche de Métro.

Paris s'éveillait de la guerre, j'étais enfant. L'eau claire lavait les roues des petites marchandes de quatre saisons contre le caniveau. Une fraîcheur de Mai caressait les façades. La TSF donnait Victoria Marino et sa voix exotique qui chantait "Frénésie".

J'allais chercher le pain, dévalant l'escalier au tapis incarnat sous ses barres de laiton.
Franchie la porte, le parfum m’enivra et je dus défaillir. Il venait de partout alentour, semblant sourdre des pierres et des gens et du ciel comme une odeur de fête enfouie dans la chanson qui courait en ma tête.

Mon premier bonheur fou quand une petite vendeuse m'offrit ce premier brin, car elle avait mon age et je bondis de joie en courant sur la place jusqu'au boulanger proche.

Oh ce muguet de rêves ! Jamais je ne saurais le mystère de son sens olfactif et étrange.

Paris











En début de printemps, ses longues feuilles jaillissent du sol dans les bois telle une promesse qu'on espère. Puis tout soudain le voilà dans la rue comme surgi de nulle part et éclos comme un œuf dans sa fragrance folle.
Passe-passe magique du jour. Demain il est fané. Offert comme un baiser dont on aspire le goût, le voici envolé dans son instant fugace.
Pourtant cette présence dans le moment si vif de son passage au nez puis à l'imaginaire ! Comme il sait révulser l'âme en un tourne-coeur, laissant son sillage tendre poursuivre le cours des vies.

Fée clochette, Peter Pan au parc de Kensigton Garden t'a prise pour une fleur ! Ta tige est un poison et des filles portent ton nom parfois. Ça fleure la midinette, la Lorette facile. Puis on te vend aussi en petite parfumerie, à prix économique. Ça fait peuple comme ta fête qui sent le défilé.
Demoiselle
    Les mots de la chanson me reviennent parfois dans l'odeur du Métro tel un vieux leitmotiv. "Aimer avec frénésie ..."
Lors j'ignorais l'amour, mais le refrain berceur a traversé mon âge et en Mai je t'espère dans un creux du jardin où tu te multiplies, comme la vie !

Et je reste à genoux les yeux clos pour sentir mon enfance.


La source - 2005