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La Visite


 

 

 

 

 

Coiffeuse    

Je ne sais comment les choses se sont passées, comment tant après je me retrouve là.
Chambre à louer, j'y suis.
Certes le papier a changé et l'ameublement.
Mais pourtant j'y suis.
Mon premier soin, avec les gestes fiévreux de l'enfance essayant un jouet fut de loqueter bien sûrement la porte du cinquième étage de cet appartement. Je n'allais pas jusqu'au bout du couloir où je savais découvrir une cuisine. Même l'autre, l'ancienne ne m'avait vraiment jamais intéressé. La penderie à la droite du couloir non plus. La seconde chambre je ne l'avais jamais aimée. Restait la mienne, qui fut aussi celle de ma mère, la nôtre. Trente ans plus tard je retrouvais à louer cette maison qui me fut si chère.

Puis j’attendis.

J'étais inquiet de savoir si l'horloge de l'église allait sonner, et comment.
Et l'impression à ressentir ?
Le lit avait fort heureusement la même orientation. Je m'y couchai nu.
Puis je me regardai. Alors je me souvins de mon corps d'enfant. Pas exactement mais par morceaux. Pour le visage je n'ai jamais eu de réel problème. Je sais l'adapter facilement, en tout point du temps. On peut me donner une date, aussitôt je place le visage du moment.
Ce corps ne ressemble pas plus à celui de mon père qu'à celui d'aucun homme connu en cette période. Je suis incapable de me souvenir quand je l'ai vu pour la dernière fois, dans quel lit ni à propos de qui.

Je m'installe et j'attends.
Sans doute tout va bientôt revenir.

J'ai beau me dire qu'il y a bien plus d'autos qu'autrefois, et des tas d'objets différents un peu partout dans la maison... J'attends comme pour une chute verticale, la nuque la première.
Rien. Je doute.
La première rencontre fut l'ombre projetée du clocher au travers du volet entrouvert, du volet de zinc articulé, du même balcon de zinc à la rambarde de fer forgé. Cette fois c'est vrai. L'horloge !
Je suis le seul à savoir vraiment que je suis ici.

L’horloge.
Mais c'est une voix ?
J'aurais pu venir plus tard.

La voix est fixe. C'est bien la seule chose qui demeure vraiment ici. C'est bien banal, je pense, la voix d'une horloge d'église. A quoi ça sert, vraiment, puisque ça demeure ? L'effet est immédiat et je me lève. Qu'est-ce que je fais dans cette chambre ? Pourquoi me suis-je déjà mis dans un cercueil ? Retrouver le temps ? Je viens de le retrouver. Il vient de me dire qu'il est tard. Je suis désolé, mais je dois partir... Je dois retourner d'où je viens. Je me pose toutes ces questions... Pourtant je ne suis pas mal ici... Je voulais retrouver un temps, et c'est le temps de tous les autres qui me retrouve. Je n'ai pas de temps à moi.

C'est maintenant le quart de l'heure qui sonne. Je me dois d'agir. Si je reste ici...combien de temps ? Je n'ai loué que pour un mois. Après ? Aurais-je le temps d'attendre. Je devrais après, aller ailleurs. De temps en temps je regarde l'heure au travers des persiennes. Je me dis : quand j'entendrai un pas dans l'escalier, je m'en irai. Combien de temps vais-je attendre ? C'est suffoquant. Je voudrais être calme. Je ne pensais pas à toutes ces choses il y a... trente ans. Je suis mal parce que je suis seul, n'est-ce pas ? Si il y avait quelqu'un ici...

Quelqu'un !
Peut-être bien que dans ce quartier il y passe des femmes ! Si j'osais appeler depuis le balcon ? On sonne ! C'est encore l'horloge. A cette heure tous les films sont déjà commencés. Moi aussi je ferais bien un film. Malheureusement je suis tout seul. Je puis au moins en écrire le scénario. C'est cela, ca va me faire passer le temps.
Du papier... un stylo.
Du papier !
Pourtant s'il y avait quelqu'un avec qui je puisse discuter de mon projet.
- Mademoiselle est-ce que vous aimeriez jouer un rôle quelconque dans mon film ?
- Vous savez j'ai si peu de temps...
- J’appellerais ça "L'énigme de la femme sans temps", si vous voulez.


 

Temps
Eglise

 

 

 

 


Dix heures.

Et si je parlais à cette horloge. J'en aperçois le clocher tout proche, immédiat, de l'autre côté. Il y a une bande  de terre gazonnée, qu'entoure une grille et qui longe l'église sur trois côtés. Défense d'afficher. Loi du 17 juillet 1907. C'est pas très seyant sur une église. Autour la ville. Mais qu'est-ce que je fais là ? Au balcon d'un cinquième étage d'un immeuble d'une rue de Paris ! C’est vrai ! C'est Paris, ici... Paris ! Est-ce que vraiment cette rue en fait partie ? Qu'est-ce qui justifie l'appartenance de ces maisons à Paris ? D'abord une ville, une capitale c'est quoi ?

D'où ca vient ? Dix heures un quart.

Ce balcon est suicidaire. Même si je tombais je ne serais qu'un corps très vieux. Même pas, par hasard un enfant de dix ans. Qu'est-ce que j'ai fait de cet enfant qui est en moi, peut-être ? Quelle drôle de forme il a pris ! Cette tête qui s'allonge... Ce corps compliqué fait d'envies non résolues... Ces choses soi-disant vécues à l'intérieur et que je ne puis échanger contre rien, rien de tangible !

Je m'habite mal. Pourtant je puis tout faire de moi. Je préfère convoiter un objet dans une vitrine, une statue sur la place, une fille dans les escaliers du métro. Moi ? M'intéresse pas. Mais je vis !

J'aime mieux m’allonger pour y penser. Allumer, éteindre ? Allongé, debout ? Je n'ai pas faim, pas de soif non plus. Pas sommeil. J'existe. C'est déjà bien. Mais qu'en faire ? Et il faut penser. Car le temps passe. Un jour ou l'autre je ne pourrais plus y penser. En général c'est quand on est vieux que l'on meurt. Ah ! j'ai des projets ! Certes. Et si je commençais par le plus important. Je pourrais !... réaménager cet appartement comme il était il y a trente ans. Est-ce vraiment important ?

Dix heures et demi.

Quoi ?

Non c'est l’horloge qui a parlé. Bien, continuons. Où en étais-je ? Cette fois je me lève. C'est trop bête. Je ne sens rien ici. Mais où est-ce que cela serait bien d'être ?

Ah ! Ce vide. Si j'ai trop peur je partirai, j'irais dans la rue. Comme j'y suis souvent, ça ira bien. Ce n'est pas possible d'être dans un état pareil ! Je me demande comment je fais d'habitude. Ce n'est même pas l'horloge qui me met dans cet état ? D’habitude... Je fais des choses. Tiens ! des pas. Alors je dois partir.

Le temps de fermer les volets... Tiens on sonne !  Ce n'est pas possible. Personne ne sait... On sonne à nouveau.

- Qui est là ?

Je dois ouvrir.
Je vais ouvrir.
Personne.

Dix heures trois quarts.

Comme le temps est étrange et comme il passe vite. Non ?

Le temps de n'être pas
Aix en Provence
1975-78      

 

 Paris