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La première croisade du manoir de Cheffreville-Tonnencourt


Texte écrit en décembre 1967, adressé à Émile Trouvé (1883-1967) son grand père 

Publié dans le recueil "Vingt ans à l'envers"
- VI - Voyage Tzigane
Editions de l'oiseau de feu 1977

A Lisieux, aux ânes et aux autres Voilà que maintenant
je ne crois plus en moi
je ne vois plus en moi
je ne vois plus que toi

voilà que maintenant
les violons sont tous faux
les tziganes sont tous fous
et les rois sont défunts

et maintenant voilà
que j'en arrive là
avec ce verbe usé
et ce coeur qui pourrit
déjà

si bien que tout à l'heure
je vais te chanter ça
que tu n'en diras rien
et que moi j'en crèverai

et puis voilà encore
ceux qu'on n'attendait pas
ceux qui ne venaient plus
ceux qui ne parlent pas

voilà que cependant
voilà que sont pendus
aux murs des cathédrales
aux couloirs des métros
des icônes dorées
des sourires dentus
et des âmes damnées

et voilà que s'accrochent
aux rames des trains noirs
des caravanes en rut
des espoirs de Cité

Yérushalaïm
je te l'offrirai
Yérushalaïm
je te chanterai

je t'apporterai des terres de l'est
des fleurs non coupées
et j'arracherai la terre avec les fleurs
afin que tu voies
comme elles sont nées

pardonne moi Célia
j'ai cru recommencer
j'ai voulu te bercer

La violoniste slovaque

mais j'ai voulu danser

et j'ai fait venir là
des futailles de vin
pour ceux qui allaient voir
comment un homme passait

ils ont alors chanté
et des fleurs plein la tête
et tous ils ont pleuré

moi je ne pleurais pas

A l'herbage

moi je ne voyais pas

   Yérushalaïm
je te donnerai
    Yérushalaïm
je te chanterai

et puis voilà qu'un soir
la horde est revenue
la roulotte est entrée
au fond de ma mémoire
et tous ils grattaient leurs cordes
ils les grattaient avec leurs ongles noirs
et ils ont fait chanter
une romance noire
et l'homme qui passait
l'entendre battre en lui
son coeur qui se battait
pour vivre encore un soir
et de longs rêves mauves
et des amours violets
et de cuivre rouge comme des soleils
éclataient alors dans sa tête folle

et moi je rêvais
et moi je pensais
que je t'offrirai
la plaine dorée

A Yérushalaïm
je t'emmenerai
A Yérushalaïm
je voudrais t'aimer

puis les soirs passaient
puis les nuits venaient
les trois anges noirs eux n'arrivaient pas

les violons dormaient
mais tes cheveux fous
battaient en mon ventre
comme un fût d'alcool
et d'étranges mots
venus des pusztas
sur des chevaux nus
nous arrachaient le coeur

Les musiciens tziganes

 

 

 

 

le grand Chaman noir entra à huit heures
les rideaux étaient encore grands ouverts
et son seul oeil bleu pouvait voir la nuit

sa main le souleva dans un relent de camphre et d'étoiles trop tôt allumées
des torches brandies par des garçons de ferme pénétraient en lui et
y mettaient le feu

Tes yeux avec mes veines
nouaient des fouets de fer
qui claquaient sur ma peine
avec un bruit d'enfer

des dynasties de voîvodes et des choeurs en magyar
hurlaient dans cette chambre des litanies de mort
des coffres pleins d'argent dansaient dans les étoiles
une mère cherchait près d'un berceau pourri
des langes qui séchaient la rappelait à lui

moi je n'entendais plus
mon sang parler de toi

A Yérushalaïm
je te chanterai
A Yérushalaïm
nous n'irons jamais

mais c'est ma jeunesse qui part
c'était cela que d'être un homme
jamais je ne voudrais y croire
c'est tellement beau de faire comme

je ne suis pas mort à la guerre
je ne sais pas le prix de l'or
mais je voudrais pourtant mon frère
que tu deviennes aussi ... un Rom

           maintenant je pense à ma vie
ce qu'il en reste et qui me fuit
à la mère de mon fils
qui dort seule dans son grand lit

Notre-dame de Livaye en hiver

mais sur la neige
passe un cercueil
et lui il est déjà tout seul
les roulottes viennent en rang
elles arriveront du ciel
 

Notre-dame de Livaye à l'horizon

elles s'en viennent de la mer
la mort pour nous c'est une affaire
mes tes cheveux ont goût de miel
et SARAH la noire m'entend ...

 allez
passez
 allez
roulez
 allez
jouez les tziganes
crevez les tziganes

je suis la chair de sa chair
qui passe là bas
entre la neige noire
et les pommiers blancs

je finirai mon histoire
encore par un chant

A Yérushalaïm
qui m'enterrera
A Yérushalaïm
qui m'enterrera.