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Extraits de Blanc sur fond blanc 295ème Encres Vives - mars 2003 |
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Cube d'angoisse glacé en cristaux polymorphes L'imaginaire charrie des banquises lucides Sur l'océan des rêves dérive l'anamorphose Acide une cloche d'ombre tinte en un port de givre Froidure du mot seul blanchi dans son linceul Avec pour toute onction extrême la réfraction Au bloc des incidences d'un blanc scalpel de lune La débâcle des songes en galaxies de neige L'appliquée mécanique du verbe s'est grippée La pensée crevassée de gerçures mord le bastingage De cuivre de ses dents d'or et la poulie mobile impavide dévide une corde d'onglée De frileux souvenirs grelottent sur le pont Les bonheurs clandestins tremblent à fond de cale Par un écubier d'aube grimpe la chaîne du jour Tirant l'ancre des soirs gelée de désespoir Le temps titube avide d'un dernier verre de vie Qu'il voudrait tant vider en ce vorace hiver L'étincelant cristal éclate en cœur d'étoile Ruisselant de salive d'algides nébuleuses Ventre ouvert le steamer laisse engouffrer l'effroi En mer d'Armor l'Ankhou se vautre en l'amertume Verte de crânes roulés chargés d'algues marines La Mort claque des dents sur son âpre granit |
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On vient vous y convier à la fastueuse ripaille des noces d'un ciel fou avec une terre morte Entre les deux c'est l'océan l'imaginaire ivrogne des trognes traquées burinées par l'effroi La raison se veut deuil le silence liturgie la langue s'y fait pauvre en mots rares et taris Branle bas des syllabes quand la phrase appareille centre de gravité d'une raison perdue En mer sur un écueil en courant sa bordée sous la brise canine de la chienne du monde Les concepts intégraux laissent filer la voile à la force constante des râles de la mémoire Quand meugle le noroît dans son requiem sourd en voix de litanies murmurées des hauts fonds La toile carguée à sec aux vergues et dure à dire l’œil la trousse tel un corps qu'enroule la nuée C'est peint blanc sur fond blanc comme un nu galactique au squelette équivoque à nuque épileptique Œuvre au noir quêtée dans la vacuité blême d'absences boréales l'éclipse s'est faite chair et sans résurrection Mariage paien des fées et des elfes et du glacial chaos vers un vide absolu |
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La plainte frêle s'est fêlée d'abord On l'entendait sur tous les quais du port Puis à la fin elle s'est brisée Et le vent froid l'a emportée Au nord Quelques étoiles s'en souviennent encore Il gelait tant dans les rues au dehors C'était une nuit de solstice Offerte à tous les maléfices Du sort En temps de lune quand la bise mord On risqu'entendre en un écho l'accord D'une source qui va vers la mer D'un nom de femme doux-amer Très fort Qui se rappelle cette voix alors Cette complainte semblable au remord L'avalanche de giboulée A déjà recouvert l'allée Dès lors Elle est sans doute partie vers les fjords Son souvenir n'est que l'oubli qui dort Et soudain en pleine nuitée La vitre givrée s'est cassée De mort |
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Un basson Un piston Une aigre clarinette et un caisson Cassé Le sinistre bastringue joue una voce poco fa Phtisique la chanteuse crache le sang en contre fa Sur la piste Le clown triste Va clopinant mimant l'équilibriste Grisé Les quolibets et moqueries pleuvent sur sa carcasse De pauvre vieux miteux avec sa trogne de paillasse Il sautille Sans béquilles Grotesque et pantelant dans ses guenilles Souillées Qu'il aille encore plus haut tellement il nous fait rire Ridicule bouffon vas tu enfin bientôt mourir Il s'écroule et la foule Trépigne de joie de le voir s'écraser Brisé Dans une ultime quinte la soprano ose son sol On ne l'entendra pas la foule bat des mains pour guignol |
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Au parc dépouillé les ombres des grands arbres Se frôlent dans la brume avec cérémonie Respectant les dormeurs étendus sur les bancs Et leurs pensées secrètes privées de sépulture Une bise de l'est siffle une mélopée Reprise par des chats rodant sous les statues Des reines dénudées cachent leur pierre froide De mortes feuilles de lys volant par les allées Le vent violent venu du ventre du veau d'or A vidé les poubelles de ses fausses vérités De rares papiers volant avalés par les nymphes S'avèrent comme la vie de vaine vacuité Nuit d'extase on croit croire quand un fauve de marbre Gerce sa lèvre givrée sur la flûte d'un faune Le concert spirituel en rugissements rauques S'élève dans le ciel pour en chanter la gloire C'est l'heure bien tranquille où des étoiles vont boire Au milk bar voie lactée les derniers râles glacés Des grands agonisants par les barreaux la lune Visite les déments et goûte à de vrais rêves La douleur des loups blancs blottis hâves et dolents Avec leur fièvre folle au fond des caniveaux Grelottant par la ville est vraiment révélée Six cent soixante six voix hurlent leur foi en l'homme |
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C'est aujourd'hui bel ange qu'on te crève les yeux Qu'on cisaille tes jambes et qu'on coupe ta langue Tu as assez chanté Tu as assez dansé Tout ton sang doit couler un visage crayeux Blême et livide sied à un corps tout exsangue Ce sera avant l'aube à l'heure où tes vieux rêves Songent à de belles images qu'on viendra te chercher Tu as assez pensé Tu as assez aimé On cognera ta tête à petits coups sans trêve Et tu verras le jour devant toi se lever Nous arrivons au soir à l'instant où tu peins C'est pour briser les os de tes mains à couleur Tu as assez brossé Tu as assez créé Sur tes moignons en sang tu te traînes et tu geins Jamais tu n'auras eu de si belle douleur Tire encore l'archet jusqu'au bout de la corde Jusqu'au dernier sanglot de ton pauvre instrument Tu as assez joué Tu as assez raclé Vous brûlez bien ensemble jusqu'à ce que se torde Ta chair avec son bois dans cet accouplement |
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La lente procession s'étire sur la lande monotone un tocsin sonne atone et s'éteint Lugubres chants de peine funèbre liturgie qu'égrènent des voix sourdes en sombre litanie Trèfles à quatre feuilles gui sacré mandragores aux racines ricanantes antiques solanacées Médailles entremêlées d'ex-votos impies c'est la cour des miracles d'une terre oubliée Faces de vieilles usées aux gencives rongées de tabac à chiquer trognes d'ivrognes rougies Au granit des pardons que le roc des cœurs clos si lourds d'avoir tant cru en siècles de piété Dans un halo de lune la nuée quête au ciel en vain ses spectateurs pour l'obole rituelle Allez la farce est jouée les derniers dés jetés le pouce est retourné vers le bas un coq chante Frileuse l'aube livide s'enroule de varech les os des naufragés heurtent aux maisons vides Pour quêter un blanc suaire et s'allonger en paix entre la terre et l'eau et rêver aux marées Aurore aux doigts de mort païenne funérailles pour harpies glapissantes et sirènes glacées |
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Mémoire ensevelie bribes de souvenance Images abolies aux fragrances imbibées De fort frêles féeries aux mouvances fantasques Rêves d'antiques masques d'enfance évanouie Esquisse en feuille fragile évanescente et folle Au lavis délavé par le vent des années Volutes véloces et vives molles et malléables Se sont évaporés sur les rives de vie Furtifs froissis de formes au parfum de délices Des noces d'un dur désir que le pouce lissait Sur l'épure froissée voluptés envolées Fuligineux enfer des fleurs d'un mal être Demeure l'ultime vraie toile et cette envie d'étoile Pour humecter la langue quand la brosse appareille Par grand vent de mouroir dans les soirs d'équinoxe Celles qui sont au mur vous regardent et ont faim Si tout a été peint alors peignons le rien Le tube titube d'amour dans les doigts durs et gourds Et sourd de son blanc pur à épandre d'instinct Dans l'instant du grand vide en tentation du froid Ainsi ce cube d'angoisse au cristal polymorphe Tout mon imaginaire est devenu lucide J'ose être une banquise je vais sur l'océan J'entends la cloche d'ombre qui tinte pour mon port à "La Source", 2002
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