Un train de
marchandises est garé sur la voie. Dans un épais brouillard on
entend les chocs lourds d'un lent déchargement sur le quai qu'on ne
peut voir.
Sur l'autre on distingue mal une forme très claire qui
demeure immobile.
Les lampes de sodium viennent à s'allumer.
Alors on aperçoit la silhouette gracile d'une fillette en robe
blanche aux blonds cheveux nattés.
Ce qui peut étonner c'est le
choix du vêtement dans un lieu peu propice à une telle tenue,
d'autant plus qu'elle est seule et puis qu'il va faire nuit.
L'éclairage confère à cette étrange présence une irréalité bizarre
qui inquiète.
La vapeur du train
s'est enfin dissipée.
L'œil peut mieux s'adapter au sujet qu'il
observe.
On capte plus précisément l'angle de sa posture.
II semble
établi qu'elle ne regarde pas les wagons maintenant, mais un point
opposé qui serait bien le mur, tout proche d'elle.
C'est
l'entrée du buffet qui est fermé ce soir.
Elle n'attend personne
alors.
Le brouillard s'amenuise au fil des secondes.
Le silence se
fait sur la voie d'à côté.
Un sifflet aigre indique que la rame va
partir et le dernier wagon file avec son fanal.
C'est ainsi qu'on découvre un personnage resté sur le quai.
Il se
situe en face de la petite fille et semble la regarder immobile et
figé.
On peut se demander s'il la voyait avant.
Cela eut signifié
que les portes fussent ouvertes des deux côtés du rail. On peut le
supposer.
Le regard s'éclaircit sur la robe et aussi sur celle qui
la porte.
C'est une jeune femme, en fait, mais si menue, que dès le
prime abord on a pu s'égarer.
II devient plus facile de comprendre
ses gestes, car ses deux mains s'affairent sur le haut de sa robe
qu'elle semble entr'ouvrir.
C'est maintenant acquis, elle regarde
une image et cela ne peut être que la vitre d'en face qui lui sert
de miroir.
C'est donc son reflet qu'elle contemple en dénudant sa
gorge.
La blonde femme-enfant observe son buste nu sur la porte
vitrée.
Alors on se demande si la silhouette grise en face peut
profiter du rendu de l'image.
Et c'est fort improbable.
Elle vient
de refermer sa robe et revient lentement, tête basse, telle une
ombre.
On peut la voir de dos s'éloigner, avec ses nattes qui
dansent et battent sur ses reins.
Les deux sont liées ensemble par
un entrelac fait de fils de barbelés rouillés allant s'entrechoquant
sur le tissu léger qui semble l'avoir marqué d'une large tache
rouge.
La brume est revenue sur l'autre quai désert.
Un grand
express arrive sur celui ci tout proche.
Dans la voiture bleue des
sleepings s'engouffre une robe blanche. L'homme des wagons-lits a la
même silhouette que celui qu'on voyait sur le quai à l'instant.
Etait-ce la même robe?
Rien n'est sûr. |