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Est-ce vraiment une fin prometteuse pour un romancier encore
inconnu que de sentir dans son rêve du jour levant les éboueurs
nègres charrier son œuvre dans une benne de détritus ?
Un bon début est la moitié de l'œuvre chante ce proverbe, même si
c'est encore l'Œuvre au noir ... Les proverbes étant bien sûr la
sagesse des nations, il faut dire que l'internationalisme de la
situation est un sel supplémentaire à l'anecdote.
L'année docte fut double : oui, 24 mois à raconter une vie.
Eh bien, la voici disparaitre tout à l'heure au coin de la rue !
Mais qu'est-ce qui n'aurait pas envie de disparaitre en ces temps ?
Un certain respect humain, sans doute, ou bien une peur native du
vide irrémédiable dispense l'auteur d'accompagner son travail.
Qu'on se souvienne quand même que l'histoire se terminait dans
une ferme normande. Mais c'était une fiction. La réalité, elle,
dépasse quelquefois l'affliction, et en voici la preuve.
Est-ce le dégoût, le désespoir, ou bien une incroyable tristesse
apportée par les premières pluies.
"On ne se plaint pas" répète inlassablement la petite fille.
Quelle petite fille veut étouffer quelles plaintes ? Un poète, que
j'ai tant aimé, prophétisait au XIème siècle "un jour de bonheur
prépare un an de larmes". Je viens de vivre ce jour de joies au cœur
de l'été, et je n'accepte pas ces longues saisons de peines. Le
chemin à venir sera celui du silence et de l'humilité : à s'employer
modestement à des basses besognes, l'auteur (l'ôteur...) saura au
moins qu'il est sur la bonne pente, celle qui ne cesse de décliner.
Il pourra toujours rêver à ses succès au passé antérieur, d'autant
que personne n'aura eu la curiosité de lire son manuscrit, pas plus
que ses nuits de froid où quelques petits mots eussent allumé un bon
brasier d'espoir.
Le roseau pensant a penché ce soir du côté où il doit tomber.
"Mais donnez lui d'un coup le soleil par le visage et le voilà qui
s'éclaire tout aussitôt ...". Je suis enfermé dans ma nuit qui
attend le jour, qui rêve d'eau de mer. Les larmes ont la même saveur
mais ne noient pas.
La petite fille lit "Le Voleur". Pour elle j'aurais volé le
tambour de Léonard Cohen, celui là qu'il ne voulait plus réparer. Il
aurait fait peau neuve dans une ferme aux pommiers enrubannés de
bleu. J'aurais eu tant besoin de mots, même en vrac, même à trier,
même de mots décolorés, passés, abîmés, effilochés, rabibochés, même
des mots sanguinolents qu'ils faillent panser, laver, soigner,
cajoler.
La petite fille me parle de sang quand c'est l'âme de son cœur
qui est souffrante, une petite âme dont j'ai tenté prendre soin tout
au long des semaines et qu'elle tient à préserver pour un autre
rêve, qu'elle enfouit dans son lit de glace de l'autre côté du mur
de ma chambre. Nous dormons dos à dos, tête à tête, chacun dans
notre suaire. Elle voudrait vivre "à cent à l'heure" pour oublier
les jours où on ne l'appelle pas, où on ne vient pas la chercher
pour la reconduire ... à son point de départ. Et comme les jours
sont toujours un enfer si on le les baptise pas "Paradis" elle se
fabrique un purgatoire.
Puis, à défaut d'amour, n'aurions nous pas droit à un peu de
chaleur tendre et chaude qui fasse croire à un voyage tropical ?
Dans cette fantastique église qui semble préparer à tous les grands
départs, je cherchais ce soir un petit signe en regardant la pauvre
statue de plâtre moderne érigée à Thérèse, ma petite amie d'enfance.
A cet instant tous les lustres se sont allumés. J'ai pleuré. Je n'ai
de force que si on m'en prête.
Pendant les longues semaines d'absence de la petite fille j'ai œuvré
comme un fou. J'avais aussi besoin d'elle pour conseiller ce grand
livre, pour la peindre en fleurs et en branches, pour un gros
sourire chaud en lui montrant Paris, pour ...
"On ne se plaint pas " ...
Non : on ne se plaint plus. On va se taire.
J'ai seulement remis quelques feuilles dans la machine afin de m'en
persuader. Cela n'a pas la taille d'un roman, elle le lira peut-être
un jour. Voilà, je suis en vacances ! Vacances d'un futur
travailleur qui tapera des factures ou des constats sur sa machine.
Le petit prince abdique. Ce sera un grand ouvrier de l'inutile. Il
accompagnera même la petite fille au métro, à l'aube. Etrange
rencontre ! Peut-être même un projet de roman ?
Tout est parfait dans le pire des mondes. Ou dans l'autre.
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