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Poèmes Personnels

 

 

 

 

Pour une mort raisonnable 


 

 

 

 

 

 

  Or ce sera un matin clair
carreaux lavés
la chambre blanche
rideaux ouverts
la ville palpite
à cœur fermé

deux mains brûlées
cerclent un ventre
étouffé de bacilles

c'est déjà moi le vieux
aux joues creuses
je serai rasé tout à l'heure
par des doigts parfumés

je sentirai la chaux des murs

chuchotements
édredon glacé
il bouge un peu
il a bougé

je puis penser encore
tiens tiens
la mort n'est pas le dernier mot écrit en fin du dictionnaire

je puis encore penser à un berceau
ainsi qu'aux fleurs qui ont poussé depuis

plus rien à tenter économiser
pas même un cri

que font-ils là
autour
à se remplacer

j'attends attentif aux vols silencieux
qui se lancent depuis l'intérieur

déjà ne plus voir les visages
les crânes des vivants

Oh .. je viens de descendre
un peu
nouveau monde

gorgée d'alcool imaginée

Ah .. ne pas avoir peur

moteur au loin
je voudrai être
ailleurs

Je ..
tissus
cousus
les points prisons

Tiens ..
personne ne m'écrase
serai-je devenu invulnérable

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

l'ouate crisse
tampon
coton
alvéole

rappelez-moi mon dernier repas
quelqu'un a mis dans la soupière
des œufs de contagion
éternel néant
cher ami

madame
un temps pour toute chose
la résignation
docteur

celle qui se penche pour m'embrasser a
des lèvres de morte
ces gens là vont mourir

et je ne puis vraiment pas les aider

un moteur
de mouche
bleue
combat

je me restreins
j'appelle le froid

une bulle claque
depuis l'intérieur
tous ces bateaux perdus au fond de ses viscères

obscur sostenuto
de cordes

les bagages à main de ma mère
encombrent cette dernière porte à franchir
il faudrait sauter maintenant

mûrement réfléchi
si j'ouvrais les yeux
je pourrais voir Venise
la brume givre les cils

attendre
il faut attendre
que les deux planètes
soient exactement en face l'une de l'autre

 

 

une demi-heure
docteur

il a encore le temps de vous aimer
mademoiselle
non pas vous
l'autre
ils doivent déjà être partis la chercher

ma mère est toujours en retard
attardée à chercher son browning
dans une boite à gants

Non ...
à éventail mon petit

la voix remonte doucement la rue Lepic

ne la laissez pas aller à la dérive
sa tête s'en va heurter la verrière
lourde
des magasins Dufayel

train
couleur vert neuf
ils déplacent sans cesse les chiffres
cette gare est exorbitante
et le coût du billet
un scandale

ils ne doivent pas s'en rendre compte
et le train se faufile
on a dû les égarer

il faut trouver la force de gagner le wagon restaurant

je sais seulement que mon compartiment est le 12

professeur ...
voilà qu'il se met à compter

un quart d'heure encore

toutes les toiles du Louvre
voilà qu'il les compte du doigt

mais dépêche toi mon enfant
le musée va fermer !

cette course est trop pénible
j'aurais dû envoyer quelqu'un à ma place

sa mère est-elle arrivée ?

je pourrais glisser le long de la coursive
et atteindre
et atteindre

libéré
j'ai dû quand même commettre un crime en sortant

vertébral
cassure
une certaine moelle

en grande quantité
chère madame

Oh ...
il vient de tacher son oreiller

le tigre est enfin libre de se balader sur le pont des premières
nous serons à Colombo vers 16 heures

le thé nous attend
la tasse m'échappe des doigts

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

c'est toujours comme cela avec la puberté
madame

il a dû trouver une jeune fille
dans cette jungle tropicale
salle de bain obscure

Tiens ...
je me suis perdu

craquement sourd à l'intérieur
plus fort
une bulle très blanche
qui grossit

tant de force en lui
je sais
je sais

une jeune fille à la chevelure défaite dans la salle de bain obscure

seul avec elle quelques secondes

les ongles ouverts sur les carreaux de faïence
les yeux dérapent comme des roues folles
sur une route glissante
de nuit
et sans phares

liane
volubilis
odeur
chevelure
ventre ruisselle
couleur

il sourit
c'est la fin je crois

un clochard vêtu de blanc
s'est fait manger par un enfant
devant les chevaux de Marly

la pâtisserie retrouvée
derrière les vitres des cafés

le premier armagnac vidé dans une pipe de bruyère

un rendez-vous de minuit sans lune avec des clochers sur la vitre

la route tenue par les genoux sur la poitrine d'un moteur à nu

les caravanes de chameaux blancs et la première femme sur un plancher

des flacons de parfum tous remplis de jetons de casino

ten thousand dollars cash

les salons du Grace Hotel à Bangkok

et ce village qui s'envole avec moi

plus léger que la toute dernière bulle

 

 

 

 

 

 

En rêve
des millions d'étoiles couchées avec moi
c'est tout

maintenant je dois vous dire
que vous pouvez partir
il n'y a plus rien à voir
à entendre
vous devriez me laisser
recevoir ma visite

seulement une main
une petite main tendue
vers le mur

la porte va s'ouvrir
elle va entrer
la dame
en blanc

1978