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Oratorio de
Notre Dame des Putes


 

 

 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Plaque tournante
demi-sphère aux vives arêtes
encorbelées de masses rondes polies par la lumière
étouffée à peine par la vague d'ombre
carrefour des attentes
au seuil des porches
au pied de l'oratoire
au fil de la nuit
au rasoir des jours

un village
non ce n'est pas un village
c'est la patiente mais soudaine éclosion
de petits cœurs édifiés
aux formes de maisons
au rythme des saisons
au hasard des raisons
déraisonnables au possible
délirante mise en scène
pour de multiples jeux

mais que dire d'avant
avant ne sais
demain ne puis connaître
que d'autres disent s'ils veulent
les chants anciens d'ici
composés ailleurs
emportés là-bas
quand souffle la folie des herbes
ou que monte
la mer

roulant à flot dans les rues
quand l'eau
l'eau de largesse et d'ampleur
opère sont cent millionième retour d'écume
sur elle même
et enfin
au matin d'un jour
le seul qui ne soit pas annoté au calendrier
s'en va
ainsi qu'elle vint
laissant vide la place
glacial le Pas
sourd le Brec
et lasse la Grand'rue
 

 

 

 

 

 

 

 

 

    s'en viennent les flûtes
sous des mains sans corps
froissis de chausses vides
martèlement de tambours
halètement de bouches invisibles

apparait le soleil
quand la dame noire s'en va
la dame noire

Il n'y a pas de programme
pas de texte
et les acteurs ne savent pas ce qu'ils jouent
on n'a convié personne
et personne ne sait ce qui se passe

vont et viennent
les pieds nus
avec l'apparence du savoir
balancement indolent des tailles polies au tour
des filles
et d'autres encore
les mains pleines de fruits
et les seins plein de froid

à angle droit les croisent
des hommes
leur bouche est dure
un chien les suit
ils font des gestes lointains procédant des silex
et leurs yeux arrêtés sur les jupes
parlent d'autres choses

exercées à la pression des mouvements
se glissent dans les zones fraiches
des vieilles au front plissé
qui servent un pain
nuit de noir
noir de nuit
la longue procession futile de leurs linges
s'évapore en senteurs confuses
les intérieurs basculent
au près d'elles
la chaise vire-volte
un chant s'envole
la mer au loin ...

des mégots craquent
la cendre sur des pavés lissés
tombe
comme des jeunes cuisses
des pipes s'entrechoquent
quand parlent les dents
du fond de leur langue monte des mots
et la spire de leurs chants
roule en écho de leur tête
à la vallée de leurs bras
toujours ils lèvent le visage
quand le porche passe à portée
les hommes qui ont vécu

le rythme est là, jusqu'à midi
 

 
    je devrais dire aussi que cette place n'est pas un village
et qu'ainsi les mots qui la forcent dépassent le rituel du Temps
qu'elle est configuration de la force et de la femme endormie
et qu'alors tous peuvent venir en Elle tirer leur destin
d'où qu'ils la prennent
l'instinct et lui seul peut faire basculer votre marche ou votre démarche
qu'ils préfèrent l'entrée du portique ou bien celle de la Tour
et qu'ainsi hésiter entre l'œil mort de la piazzeta
ou la cloche aigrelette
sont autant de risques qui m'affolent

D'ici voilà longtemps que l'eau s'est retirée
elle s'est ramassée sous la pierre pour ne suinter qu'aux jours de plaisir
l'eau s'en est retirée depuis tous les dauphins du monde
on peut la voir de nuit
entre la baie des Anges où des profondeurs les jetons de casino
s'en viennent frapper aux portes des bordels
et le phare d'Antipolis à la forme de chouette
entre les deux au pied du chemin de ronde
c'est le Golgotha
qu'ici on nomme ravin
où les habitants crucifient leurs désirs depuis des générations
et aussi sec et indéchiffrable que les vieilles en noir qui caquètent
tendues dans l'attente du spasme dernier assises en rond fermé
cernant ainsi la porte du curé

A l'autre bout dort l'eau du bassin abreuvoir
construit en 1914 au calibre même des hommes vivants
partis un matin pour l'Alsace Lorraine
et qui n'auront pas compris l'orée délirante de la ligne bleue des Vosges

quand je vous dirai que c'est la ligne de démarcation
faite de l'holocauste des Visiteurs du Soir
et la ligne matricielle du cancer
de sa faconde et de sa mort

quand je vous dirai qu'ici est la ligne de passage
le lieu tellurique du cheminement des hommes de Christos
des témoins de Joshua le nazaréen
des bâtisseurs de cathédrale
et de l'assassinat des chevaliers du Temple

la rencontre fortuite et irrationnelle du roman et du goth

quand j'achèverai mon passage
alors tous sauront que ce ne fut jamais que byzantin
avant la Lettre
mais d'après le Verbe

En cet après-midi de puissance et d'airain
en ce point du bélier
du Bélial de Munich
je suis allé m'asseoir au pied de la maison du vieil homme

sur la pierre de love et d'amour desséché
au-dessus des jardins des petits gnomes du montreur de monstres
face à l'oratoire des amants changés en pierre

adieu Gilles
adieu Dominique
merci à vous Anne
 

 
    comme Igor et son passage
comme Francis et Richard
Claude, Marco
et la muse de Modigliani
la passionaria du peintre
et le compagnon solitaire en sa tombe
ainsi que tous les gens d'amour tombés ici
je me souviens de la lettre de Vincent des lumières

"si je devais tomber nonante-neuf fois à la centième je me relèverai"

la route de l'Arles est bien plus droite
ici la paix n'est jamais que torpeur
et les épaves s'y engloutissent
à deux lieues de la mer

la peur d'amour nous y tenaille et nous y serre dans sa suffisance
avec parcimonie nous compte les gouttes de nos pourvois

allez... elle est bien petite votre capitale
un escargot par mauvais temps en ferait le tour en un jour

aussi je ne comprends pas pourquoi les briseurs de rêves
viennent y traquer les prostitués du Shilom
puisque chaque atome de souffle est l'espérance du plus fermé des rêves

Tu te meus dans une matrice où chaque pierre est rédemption
c'est la cité des abandonnés
je crie clémence Grand Architecte pour les abandonnés de l'amour
ils baillent à ta merci levant très haut la tête pour sinuer tes pierres
et quand à toi seigneur depuis ma fenêtre ouverte au sud
je te démets et de tes titres et de tes pompes
de tes sanglots de liturgie
puisque le moindre de ces pavés te remplace ici haut

et puis enfin et las d'entremêler mes rituels et les vôtres
issu des terres d'Armor de Loire et de mes steppes

demi caraque
semi métèque
batard et apatride
je m'en remets ici
à ces cailloux
à ce temps
pour y commencer le mien
et j'insiste et je crie
dans un blasphème enfin voulu rédhibitoire
Oh ... sacré saint ciboire de sainte Magdaleine
la vierge des amants
la pute des suppliciés
la perle des amours au fond des chambres vides
je te salue
femelle
en quête d'éternité

des petits coeurs sculptés en ma fenêtre close
grand angulaire sur mon linceul déjà repassé
et tous ces verres bus en votre ventre
petit village
tout en passant la main sur les os plats
de mon visage
quand je compte le temps
à défaut d'autre empire
et mon simple rituel d'homme tout seul
d'homme tout bête
je beugle aveuglément vers des bavures d'étoile
 

 
   

il reste encore quelques mains à serrer et le désir des mots

ne m'en voulez pas si comme ma sœur en son Verseau
j'attends si lourdement un temps de délivrance

et ne m'en voulez pas si je ne souris pas
pourtant je vous apporte un message de paix
Hevenu Shalom Aleikhem

Quand je vous tends la main et que vous rêvez d'y planter un clou
je puis faire qu'il se change en argent

pardonnez moi bien fort si je suis votre mauvaise conscience
mais excusez la votre d'y avoir mis tant de connu

quand les gens du voyage décident obscurément de s'arrêter
c'est voulant vous offrir plus que le pain et sel

et si ces mots ont trop de force
alors n'appelez pas haine la vie

comme tous ceux qui ont cheminé dans cette rue en forme de Cœur
je voudrais quelquefois m'endormir
debout sur un tournant de pierre
pierre épaule au parfum piège
un peu douce de taille
et lui redonner vie

Soleil
Soleil

je suis né à minuit

Soleil
Soleil

dis moi que je me trompe

quand on me brûlera sur la place à midi

ce Cœur dans l'année devra cesser de battre

et que tout ceci soit écrit et accompli
ainsi que le voulu Grigori Effimovitch

le 17 décembre 1916 à Saint Petersburg

 

Tourrettes / Aix en Provence  74-79