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Mots d'Elles 


 La Source 1995

 

 

 

 

 

 

 

 

    



 

Dire et redire vos mots
plutôt l'accent de vos syllabes
voix lascives des femelles
absentes des voyageuses
flutées des ingénues
étouffées des gamines
et le ton volubile des faiseuses de manières
de toutes j'ai l'écho
vous toutes fûtes aimées
et j'ai chéri - bien sûr - le grand silence de vos questions

Mots chauds des femmes - femmes :
elles ont toutes de la dentelle
noire ou chair
parfum peau plus odeur flacon
et leurs seins sont en poire
jaillissants patinés de leurs nuits
lenteur des mouvements tout imbibés d'amours
et jambes à la Marlène quand elles font glisser
leurs bas
tant de fois mises à nu ....
leurs regards qu'elles offrent à boire
sûres d'elles :
elles sont femmes
c'est un métier
la cuisse est un peu lourde
les croupes la mollesse des alcôves
et le fruité de mille caresses
elles n'offrent rien vraiment en pose
on doit tout recréer
leurs meilleures toiles sont dans les yeux de leurs amants
s'ils ne sont pas aveugles
s'ils ont de la mémoire
 

 

 


 

Voix différées des filles à parcours
qui vous disent New York et puis Venise Tokyo
n'ayant laissé au loin que des bagages
leurs corps évanescents se dénudent à tout va
elles sont là dévêtues et vous n'avez rien vu
tout est à inventer mais elles peuvent tout faire
tout leur est proche aux filles caméléons !
leur âme au fond d'un agenda-planning
poker des décalages horaires

Adorables perverses voici les ingénues ...
ce qu'elles font rêver !
leurs gueules d'anges toujours
leurs trouvailles parfois
vous offrant à elles seules
un monde d'écoute et de paroles
assises sur un coin de canapé-sofa
elles vous ont tout montré avant la pose :
leurs cuisses qui se dénudent à chaque cigarette
et leur corsage entrebâillé
-Ce qu'il fait chaud ici !
on ouvre la fenêtre :
elles rêvent d'un feu de bois
la voici bientôt nue étendue devant l'âtre
se laissant mettre en pose plaquée contre le peintre :
diable ce qu'elles veulent plaire !
et bien souvent leurs toiles ont un rendu étrange
Etre ange ou ne pas être ....
 

 
 

 


 

Alors voici les gosses les gamines les nymphettes
fleurant bon le savon et leurs cheveux lavés
vous regardant l'œil chaviré
la paupière cernée de leurs jeux enfantins
ce que je fus cruel envers elles
pardon !
-mets toi nue -dévêts toi -ôte tes vêtements ...
besoin d'œuvrer bien vite tant elles changent d'avis
elles donnent envie de viol et viennent pour jouer
à avoir peur
et c'est si émouvant de partager leur crainte
dans leur regard mouillé c'est le désir de lire
dans l'œil du peintre l'émoi de leur candeur
corps de vierges seins naissants croupes dures
et puis le satiné doucereux des épaules
quand on les accompagne sur les lieux du supplice
elles savent la rareté de leur instant de pose

Une lettre
j'étais venue poser pour toi voilà dix ans
je suis maman ce soir
j'ai donné à mon fils ton prénom
que deviens tu ? as tu toujours mes toiles ?
où tu m'as faite si belle pour la première fois

Encore
en voici d'autres qui papotent entre elles
dames mariées venues gérer là leur ennui
-Non pas de téléphone je vous appellerai !
c'est bon s'encanailler dans l'atelier d'un peintre
-Mes fantasmes dites vous ? Etre attachée
on fait de curieuses toiles avec ces assoiffées
vous amenant leur fille par un temps de vacances
-Mets toi nue mon enfant ... elle a de très beaux seins
avez vous vu ses fesses ?
(claque de la maman pour faire rosir la croupe)
-Bien sûr ... (à mon oreille) elle est vierge !
- si vous aimez la mère vous aurez bien l'enfant -

J'ai fini mon dessin
reste une page blanche
pour les vraies voix qui ont chanté à mon oreille
... les petites sœurs du peintre
elles étaient pauvres
elles étaient riches de leur tristesse
souvent on dînait à crédit à la cantine de ma rue :
l'indien de service !
elles ... n'étaient payées que parfois et s'en foutaient :
j'étais le peintre ...
elles ... que j'habillais au "décrochez moi çà"
- puces de Montreuil -
... un vieil astrakan déplumé
on s'embrassait devant une frite
pas d'homme pas de femme entre nous :
-ça va tes amours ?
-Bof ....
vous avez dit bohème ?
oui : du cœur et de l'âme
et c'était vrai
comme les toiles brossées d'elles
qui ne sont plus à vendre